Le rôle de la musique dans la vie politique et sociale de l’Iran au XXe siècle a toujours été crucial. A chaque période de notre histoire, la musique aura été le porte-voix des aspirations des Iraniens. Si nombre des chanteuses ont quitté l’Iran depuis la Révolution, beaucoup d’entre elles vivent et travaillent encore ici. L’ironie veut que les filles soient beaucoup plus nombreuses que les garçons à fréquenter les écoles de musique. Mais pourquoi apprendre une discipline qu’elles n’auront pas le droit de pratiquer ensuite ?
Ce film suit pas à pas le processus d’organisation d’un concert à Téhéran, questionnant de front le système de la censure, face à la caméra. En terme de stratégie, nous avons opposé la détermination et la « fausse naïveté » de Sara aux interdits que nous rencontrions. Cela nous a permis de filmer et d’enregistrer (en caméra cachée) toutes ses démarches auprès des autorités, ses rencontres avec les représentants politiques et religieux, et d’éclairer la « logique » de la censure qu’impose le régime.
La ligne musicale du film a pour leitmotiv le chant traditionnel révolutionnaire « Oiseau de l’Aube » (Morg-e Sahar) auquel Sara veut donner une voix nouvelle. Le film est un hommage à Qamar, celle qui le chanta la première fois. Artiste de légende en Iran, elle parvint dans les années 20 à briser les tabous de la société iranienne et à libérer la voix des femmes, la déplaçant du domaine privé où elle restait confinée, au domaine public. C’est ce même combat que Sara et ses amies doivent mener à nouveau aujourd’hui. La résistance de Qamar a inspiré le défi que nous avons lancé entre 2011 et 2013 aux gouvernements d’Ahmadinejad puis de Rohani.
Le film est centré sur le personnage de Sara. Les artistes françaises qui se sont associées à son combat offrent un poignant contrepoint au point de vue des protagonistes iraniens : entre choc des cultures et solidarité artistique, le public vit ce voyage vers Téhéran à travers le regard d’Elise Caron, Jeanne Cherhal et Emel Mathlouthi. Nous avons ici fait appel à trois artistes de générations et de mondes musicaux complémentaires, trois femmes engagées et ouvertes à d’autres univers. De plus en plus conscientes de la réalité vécue par leurs homologues en Iran alors qu’elles rejoignent enfin Sara à Téhéran, celles–ci participent activement au bras de fer de Sara avec les autorités, au côté des chanteuses iraniennes Parvin Namazi et Soyeh Sodeyfi. La seule arme de ces femmes : la musique et le chant, expression par excellence d’un corps féminin que ce régime n’a de cesse de combattre.
A l’issue de notre aventure, une porte s’est ouverte pour la voix des femmes, le temps d’une soirée, le 19 septembre 2013, à l’opéra de Téhéran : mais qu’en sera-t-il demain ?
Ayat Najafi